J’ai finalement compris pourquoi nous répétons autant les techniques dans des drills ou uchikomi. Bien sûr, cela nous permet de peaufiner les techniques, de prendre le temps de nous concentrer sur les détails qui nous conviennent, tels que les rythmes et les angles. Puis, petit à petit, j’ai commencé à observer l’importance du Uke. Comment allait-il réagir ? Si je change un élément, est-ce qu’il me donnera la même réponse ? Et si je répète exactement la même forme avec des critères quasi identiques, réagira-t-il de la même manière ?
Le Uke est l’élément déterminant de nos entraînements, et j’en parlerai demain. Il nous permet, dans nos répétitions, d’enregistrer des réponses. Nous continuons nos drills avec différents partenaires pour étudier et apprendre les différentes façons de réagir à nos attaques. En réalité, il n’y a pas cinquante façons de donner une réponse à une technique.
Cela nous offre la possibilité de compléter notre cartographie consciente et inconsciente de ce qui peut se passer pendant notre exécution technique. Nous pouvons dès lors travailler sur une réaction alternative ou peaufiner notre préaction. Dans les styles de préhension, la façon dont nous prenons le kumikata nous permet de préparer notre technique à venir et d’imposer des réponses, ou du moins de comprendre le type de réponse spontanée du style d’opposant que nous avons.
Une fois que nous avons pu observer les affrontements de grip et les préparations techniques de la réponse de l’adversaire, nous pouvons lancer la technique. Cependant, je n’attends pas la réaction, je la connais déjà. J’insiste sur ce point : la question n’est pas de savoir quand ou comment réagir, nous le savons grâce à la prise d’informations que nous avons mise en place pendant nos drills, puis pendant l’étude des préactions dans le randori, afin de lancer notre mouvement dès la fin de cette initiative.
Nous avons déjà une connaissance à plus de 80% de la réaction attendue, ce qui signifie que nous sommes déjà dans le début de l’exécution technique alors que notre partenaire n’est qu’à sa réaction instinctive. Nous prenons ainsi une demi-voire une pleine longueur d’avance sur lui.
Prenons l’exemple du triangle. À force de répéter mon drill, je sais que la grande majorité des défenses de triangle commence par la réaction de se mettre en colonne avec la tête droite et alignée, et qu’il y a un appui sur les jambes pour se redresser complètement. Donc, au moment où j’engage mon triangle, avant même qu’il ne se redresse, j’ai déjà effectué un hipscape, non pas pour attaquer la tête mais l’omoplate. Ce léger retard après sa réaction de s’aligner me permet d’exercer une pression sur son épaule voire de revenir à mon triangle.
Plus nous « connaissons » les réactions de nos partenaires, plus nous sommes dans une notion de fluidité, car nous sommes focalisés sur ce que nous faisons et pas réellement sur ce que l’autre va faire, sachant que nous avons suffisamment d’informations pour anticiper ses réponses. Il est évident que plus nous progressons, plus nos adversaires peuvent adopter des réponses adaptatives, jouant eux-mêmes sur cette anticipation et variant ainsi les feedbacks et les prises de données exploitables.
Que ce soit en BJJ, en Luta ou en Judo, les plus grands que j’ai pu croiser ou observer étaient des maîtres de l’anticipation, des experts de ce que les nippons nomment le sen no sen. D’ailleurs, dans les styles moins basés sur l’opposition comme l’aïkido ou le système, c’est un principe que nous pouvons voir de manière plus claire.
Et vous, où en êtes-vous ? Plutôt go no sen ou sen no sen ?
Ne prenez ce qui est bon et juste pour vous.
Be one
Pank
