
Pour ceux qui ont suivi le live d’hier soir sur l’affaire Miller, je m’interrogeais sur qui avait pu expliquer que l’hypnose ne permettait pas de placer les individus dans des états où le “facteur de jugement/critique” n’est plus fonctionnel, et par conséquent qu’il est possible d’orienter, de “suggérer”, des actions qui peuvent être dérangeantes. On le voit suffisamment depuis des décennies avec l’hypnose de scène, où il arrive que des participants aient mal vécu certaines scènes proposées par l’animateur, voire, après le spectacle, se retrouvent dans des états d’abréactions.
Je vais donc reprendre des parties du livre que je vous invite à lire : Anatomie d’une prédation d’Alice Augustin et Cécile Ollivier. Sur chaque élément, je vous propose des contre-arguments et peut-être des précisions. Je filtre les événements proposés dans l’ouvrage avec mon regard d’hypnotiste.
Question des autrices : Mais est-il vraiment possible de violer une personne grâce à l’hypnose ? Est-il possible de tordre son consentement, de la diriger comme une poupée, et d’effacer au passage le souvenir de cette immense violence ?
Le questionnement est particulièrement sain, et la question de tordre le consentement est malheureusement plus complexe qu’un simple oui ou non si on la replace dans le cadre de l’hypnose. En effet, dans cette question, on peut simplement se demander : est-ce qu’une personne qui dit non peut, avec quelques mots et techniques, dire oui ? Si l’on attend cela lors d’une rencontre de quelques minutes, c’est assez rare, à moins qu’effectivement il y ait une envie préexistante, par exemple acquérir un produit, et que le vendeur oriente vers un autre avec divers arguments.
Dans le contexte de M. Miller, la torsion du consentement s’appuie sur ce qui est connu de tous les hypnotistes et commerciaux comme un “Yes Set”. Prenons juste le cas de M. Miller en mode TV, qui séduit une jeune femme spectatrice. Quand elle accepte de parler avec lui, quand elle accepte de l’attendre à la fin du spectacle, quand elle accepte d’aller voir les stars en loge, quand elle accepte de monter sur le scooter, quand elle accepte de rentrer dans son hôtel particulier, quand elle accepte de prendre un verre et pour finir quand elle accepte de faire une session d’hypnose qui commence par un pré-test… il y a un cumul de petites ouvertures et d’engagements qui fait qu’il y a une sensation de ne plus avoir autant de possibilité de dire non, mais pas non plus une réelle envie de dire oui : nous sommes dans la diminution du facteur critique. Et comme le précisent les autrices, M. Miller ne cesse de parler et de prendre l’ascendant, ce qui fait qu’il est déjà dans une influence hypnotique, associée à la fascination du statut qui démultiplie l’emprise et la difficulté à dire non.
Non, les femmes ne sont pas dirigées comme des poupées, mais comme des objets précieux, avec délicatesse. M. Miller restait courtois et charmant, en plus d’être “généreux”. Il induit une confiance et une sécurité, et ne retire apparemment ses masques que lorsque sa pulsion sexuelle l’empêche d’être “bon” et devient menaçant.
L’oubli en hypnose, après une session assez longue, est commun, même si l’on n’oublie pas tout. De plus, il y a un levier de honte dans le cas des agressions de M. Miller, une volonté de nier et un impact traumatique qui se met en place. À ce moment, il y a parfois ces oublis complets, mais la plupart du temps, il y a des bribes, des éléments marquants qui restent même si tout n’est pas présent. Dans le cadre proposé par M. Miller, les rencontres pouvaient certainement durer plusieurs heures, ce qui fait qu’il est possible qu’en utilisant beaucoup de stratégies hypnotiques, tout ne soit pas clair, un peu confus…